Les bienfaits du massage sont empiriquement reconnus. Ils sont physiologiques ou psychologiques, et recouvrent de vastes domaines. Des bienfaits réels et variés, les uns flagrants, et d’autres plus ténus. Des effets simples à comprendre et à percevoir, et d’autres complexes, brouillés par le jeu des interactions, difficiles à isoler et à caractériser, parfois sans nom. Des effets tels et tellement nombreux que leur inventaire en amoindrirait presque la crédibilité tant il est considérable. Mais il est certain que massés et masseurs partagent au quotidien la joie du bien-être et de l’accalmie des douleurs. Les bienfaits sont là, c’est indéniable.
Il est dans la logique de l’époque, et dans celle de notre culture occidentale, de demander des preuves, ou a minima des explications. Pourquoi le massage est-il bénéfique ? Sur quoi agit-il ? Certains masseurs ne vendent-ils pas des chimères ? De nombreuses questions se posent. D’autant que la science, la recherche, ne s’est que rarement intéressée au massage en tant que tel. Il n’existe que très peu d’études, et encore moins de centres de recherche, qui se consacrent au massage. Il y a bien eu le Touch Research Institute (USA) et les travaux Tiffany Field, qui ont démontré l’importance du toucher dans le développement des enfants prématurés. Mais cette démarche demeure d’exception. Le plus souvent, les recherches ne traitent du massage que par incidence. Ainsi, par exemple, des travaux sur les fascias, univers récent et prometteur. Ces études mettent en évidence un système physiologique, le système fascial, qui éclaire d’un jour nouveau les bienfaits reconnus de l’action mécanique du massage sur les tissus. Pour autant, cette science récente ne se saisit pas du massage pour en faire un objet de recherche en tant que tel. Il faut bien l’avouer, les bienfaits du massage souffrent d’une tare impardonnable aux yeux de la science moderne : ils sont difficilement mesurables et comparables. Ils ne se laissent pas enfermer dans un tableau ou coucher sur un graphique. Contrairement à un comprimé chimique, standardisé et reproductible, chaque masseur est différent de l’autre, chaque main a son toucher. Impossible donc de généraliser, ou de mettre en pourcentages. Impossible également d’appliquer un placebo de massage. Exit, donc, les études randomisées et autres démonstrations en double aveugle, qui rassurent chercheurs, décideurs et financeurs.
Dans cette seconde partie du livre, nous allons partir en quête des bienfaits du massage. La matière présentée pourra apparaître assez hétérogène : parfois scientifique, d’autre fois déclarative ou empirique, voire héritée de transmissions orales ou d’écrits anciens. Vous y trouverez surtout les représentations nées de l’expérience d’un masseur : un composite de connaissances, ressentis et pratiques. Des représentations issues du toucher et des échanges avec les massés. Des bribes d’anatomie et de physiologie, arrangées à la façon masseur… Peu importe. Les écrits qui suivent n’ont pas vocation à être scientifiques. Ils ambitionnent de vulgariser les connaissances disponibles et de créer des images, de donner matière à conforter celles et ceux qui ont besoin de l’être. Ou tout simplement de donner une idée de la représentation qu’un masseur a de l’être humain et des effets du massage sur celui-ci.
Le massage est une science de santé holistique. Il intervient quasiment sur toutes les fonctions et sur tous les systèmes du corps humains. Pour autant, il ne les prend pas tous pour objet : il en est ainsi, par exemple, du squelette, qui est au centre de l’ostéopathie, mais assez loin des mains du masseur. C’est le cas, également, d’une approche purement psychologique, qui est au centre de la sophrologie, et ne trouve pas tout son espace dans le silence de la salle de massage.
Le massage et l’action du masseur, s’appuient sur quatre grands univers d’interprétation du corps humain :
L’univers de la motricité et de la tensérité. Le corps est un assemblage dont la solidité et la mobilité prennent leur source dans la souplesse et l’interaction de tous ses composants structurants, que sont les tendons, ligaments, muscles et fascias. De nombreuses causes, endogènes (maladie, sédentarité, vieillissement) comme exogènes (sport, gestes répétitifs, interactions entre organes), peuvent altérer les propriétés de ces composants. Il en résulte des contractures, des inflammations, des raideurs ou des tensions. Le massage peut ici se comprendre comme une intervention mécanique dont l’ambition est de favoriser un retour à la souplesse et à la mobilité. Il s’agit de malaxer, d’étirer, de presser, afin d’imprimer aux tissus un message libérateur.
L’univers des flux physiologiques. Comme tout système complexe, le corps humain repose sur des échanges organisés en réseaux : ici, ils sont sanguins, lymphatiques et nerveux. Ces réseaux assurent la transmission d’informations, le transport de nutriments, le nettoyage et l’évacuation des déchets, la mobilisation des défenses, la régulation de la température corporelle. Comme tous réseaux, ceux du corps humains peuvent subir des altérations soit du fait de causes qui leurs sont propres (mauvaise circulation, sédentarité), soit parce que des éléments extérieurs viennent en contrarier le fonctionnement (pincements, nœuds). Ainsi, par exemple, la médecine chinoise voit les zones fibreuses du corps comme l’engorgement d’un entrelac de réseaux et de fascias qui se nouent et ne permettent plus la circulation. Ici également, le massage s’entend comme une intervention mécanique qui va soit créer des effets de compression et décompression dans le but d’activer les flux, soit une action pour dénouer les réseaux entremélés, et favoriser le retour à une bonne circulation.
L’univers du toucher, de la relaxation, des sensations. Les représentations les plus courantes véhiculent l’image d’une hiérarchie entre, d’une part, le cerveau et, d’autre part, le corps. Au premier le pilotage, les consignes, les décisions, les commandes, et au second l’application et la mise en œuvre. Il n’en est rien. Le second est tout autant aux commandes que le premier. L’un et l’autre se nourissent, pas seulement de nutriments, mais de sensations. Ainsi, cet immense organe qu’est la peau, notre principale interface avec l’environnement (le chaud / le froid ; le sec / l’humide ; le dur / le mou ; l’agréable / le désagréable) préside tant à la douleur qu’au plaisir. Notre peau peut capter des sensations multicolores et en saturer le cerveau à un point tel que celui-ci peut s’en oublier lui-même. C’est l’univers du lâcher-prise, du sensitif et de la relaxation. D’aucuns affirment que l’on peut mourir de ne pas être touché. Le massage joue ici sur toute la palette du contact, physique mais pas mécanique : la légèreté, la subtilité, la pression, la chaleur, l’enveloppement, le glissement.
L’univers des énergies et des vibrations. Certes, la science s’intéresse de plus en plus à l’acupuncture et aux méridiens énergétiques. Il est désormais question d’un nouveau système corporel : le PVS, pour primo vascular system qui apporte des explications scientifiques au mystère ancien des méridiens énergétiques de la médecine traditionnelle chinoise. Certes, certaines médecines se consacrent à la dimenstion vibratoire du vivant afin d’interférer avec lui par des ondes en renforcement (renforcer les bonnes vibrations d’un organe), ou en attaque (vibrations défavorables à une bactérie). Mais ces travaux demeurent confidentiels. Le plus souvent la médecine (celle de la faculté) au mieux ignore, au plus fait un procès en charlatanisme à cette autre vision du corps humain. Le massage, quant à lui, a de longue date investi ce que nous pourrions considérer comme la quatrième dimension du corps humain. Son action peut être mécanique, comme lorsque le masseur shiatsu intervient en acupression, afin d’envoyer un message aux méridiens. Son action peut relever de l’électrique, ou du vibratoire, lorsque les mains du masseur, par le toucher, ou hors le toucher, interfèrent avec les vibrations du massé.
Nous retrouverons ces quatre univers, à des niveaux variables, dans les chapitres qui suivent.